Ah ça c’est une bonne question en effet !
À l’époque, voici ce qui faisait de moi une nourrice qualifiée : j’avais une bonne santé, j’étais gaie et souriante, j’avais de l’esprit et aimais raconter des histoires. La tristesse m’est venue plus tard mais j’en dirai plus à ce sujet dans les prochains billets. J’avais déterminé très tôt les règles que je devais lui inculquer de suivre dans la sphère privée comme en société, j’avais conçu pour elle, voyez-vous, une sorte de guide des bonnes manières. Je lui appris la vertu et la patience, les usages de politesse, ainsi que la manière dont il fallait qu’elle se tienne en toute circonstance. Une jeune noble se devait de ne pas mettre les coudes sur la table, ni de cracher ni de lorgner l’assiette de son voisin de table. Je lui appris à prendre son temps pour manger et à ne pas prendre trop de nourriture. J’ai voulu habituer cette enfant au respect et à l’empathie en lui faisant remarquer les besoins et les sentiments d’autrui.
Quand Aliénor avait entre 2 et 4 ans, bien que je ne fusse pas, bien malheureusement, une dame troubadour, je lui parlais souvent de la fin’amor, je lui chantais ces chants qui dépeignaient la figure de la dame comme une puissante suzeraine. Les poésies courtoises de Guillaume IX me fascinaient, j’avais la chance de pouvoir l’entendre chanter quelquefois. Moi qui ne savais pas lire et encore moins composer de la musique, je retenais les airs et les mots de ses chansons comme par magie. Que de jolies textes accompagnèrent l’épanouissement et l’éducation d’Aliénor qui déjà à cet âge savait pratiquement lire. On lui enseigna à parler la langue d’oc et aussi la langue d’oïl et également le latin, elle apprit très tôt la lecture et l’écriture. Elle reçut une éducation digne de son rang ! J’étais si fière lorsqu’elle me récitait ce qu’elle avait appris la journée durant. La rhétorique, voyez-vous, est une discipline à bien maîtriser si l’on souhaite se faire entendre et respecter. Aliénor fut une jeune enfant très respectueuse de l’enseignement qu’elle reçut et, très tôt, elle sut parfaitement bien s’exprimer.
Elle avait toujours à cœur de bien apprendre et de transmettre son amour des mots. Moi qui n’avais pas reçu d’enseignement lettré, j’eus la chance d’entendre Aliénor me parler d’ouvrages dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Elle me regardait avec tant d’affection dans ses grands yeux, comment voulez-vous que je lui résiste ?
Je me souviens d’un jour où elle jouait dans les bois, elle portait sa petite robe pourpre. Soudain, elle me regarda et me sourit, elle était rayonnante avec ses longs cheveux blonds ondulés jusqu’à sa taille… Je m’émerveillais d’Aliénor ! Cette toute jeune fille, qui témoignait déjà d’une grande force d’esprit et dont la beauté, devenue aujourd’hui célèbre, commençait à poindre, aurait un destin fabuleux, je le lui prédisais et ne me trompais pas. Je voyais qu’elle possédait quelque chose hors du commun. Elle serait plus que belle, cela dépasserait la simple beauté physique. Évidemment, je ne pouvais pas savoir qu’elle deviendrait si vite et si tôt l’héritière des titres et domaines du duché d’Aquitaine ! Personne ne pouvait à l’époque le concevoir !
Mais j’en dirai plus à ce sujet dans le prochain billet, à bientôt pour de nouvelles aventures auprès de la jeune Aliénor ! ✍︎
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